Quatrième de couverture
Alors, en début de soirée, ce 3 août 1962, vint la Mort, index sur la sonnette du 12305 Fifth Helena Drive. La Mort qui essuyait la sueur de son front avec sa casquette de base-ball.
La Mort qui mastiquait vite, impatiente, un chewing-gum. Pas un bruit à l'intérieur. La Mort ne peut pas le laisser sur le pas de la porte, ce foutu paquet, il lui faut une signature. Elle
n'entend que les vibrations ronronnantes de l'air conditionné. Ou bien... est-ce qu'elle entend une radio là ?
La maison est de type espagnol, c'est une "hacienda" de plain-pied ; murs en fausses briques, toiture en tuiles orange luisantes, fenêtres aux stores tirés. On la croirait presque recouverte
d'une poussière grise. Compacte et miniature comme une maison de poupée, rien de grandiose pour Brentwood.
La Mort sonna à deux reprises, appuya fort la seconde. Cette fois, on ouvrit la porte.
De la main de la Mort, j'acceptais ce cadeau. Je savais ce que c'était, je crois. Et de la part de qui c'était. En voyant le nom et l'adresse, j'ai ri et j'ai signé sans
hésiter.
J.C.O.
Avis d'une lectrice du dimanche
Joyce Carol Oates psychanalyse et revisite d'une manière magistrale un des mythes de l'Amérique : Marylin Monroe.
Avec beaucoup d'empathie pour cette blonde, Norma Jeane Baker de son vrai nom, l'auteur nous livre la vie de Marylin en nous mettant en garde dès le début : ce n'est pas une autobiographie
exacte mais plutôt une interprétation de sa vie, de l'évolution du personnage.
J'ai comparé avec la biographie "officielle" de Marylin et Joyce Carol Oates respecte néanmoins l'essentiel de l'histoire de cette existence tourmentée.
Marylin n'était pas la blonde stupide que les medias aiment bien vendre. C'était une femme intelligente, d'un humour décapant mais malmenée par la vie dès sa plus tendre enfance.
Sa mère, complètement déséquilibrée, laisse planer des doutes sur l'identité de son père absent et elle ne pourra pas assurer son éducation très longtemps. Norma Jeane passe
sa jeunesse dans des foyers jusqu'à son premier mariage. Une terreur la poursuivra toute son existence : devenir aussi folle que sa mère. Cette peur et les carences affectives de
son enfance déforment sa personnalité de manière dramatique. Elle restera une femme enfant, hypersensible, d'une timidité maladive, instable, sans aucune estime pour
elle-même. L'autre versant de son caractère est une capacité de travail incroyable, l'exigence de la perfection, un talent d'actrice indéniable.
Joyce Carol Oates balaie l'histoire des Etats-Unis pendant la période de la vie de Marilyn. C'est une période très difficile avec la crise de 1929 qui a jeté tant de familles dans la rue, la
seconde guerre mondiale, la guerre froide et surtout le maccarthysme qui a défiguré un temps la démocratie américaine. Cette campagne anticommuniste, une chasse aux sorcières orchestrée
par le sénateur Mc Carthy, ciblait tout particulièrement les hauts fonctionnaires, les universitaires, les savants et les artistes. Etre accusé de sympathies communistes pouvait coûter
très cher, comme en ont fait l'expérience amère certains proches de Marilyn. La délation était encouragée et l'auteur n'hésite pas, par la bouche de ses personnages, à faire un parallèle
troublant avec certaines dictatures.
L'auteur s'attaque à tous les mythes américains : la démocratie affaiblie pas la valse de ses hésitations, mais aussi le géant d'Hollywood. Elle décrit un milieu extrêmement dur, tourné
vers l'argent, destructeur pour les acteurs. Les dirigeants du cinéma de l'époque sont tous des hommes et exploitent particulièrement leurs actrices, les traitant comme
des marchandises, des prostituées.
L'auteur égratigne au passage JFK. Elle met en lumière sa personnalité charismatique et en même temps déterre sa part d'ombre : un homme autoritaire, sans respect pour les femmes, accro de
sexe, flirtant dangereusement avec l'interdit, oscillant entre séduction et viol.
Certaines scènes de ce roman sont dures car dégradantes. Les coulisses de Marylin sont tout sauf glamour, ses rencontres avec des producteurs de cinémat et JFK sont violentes,
douloureuses, avilissantes.
L'écriture de Joyce Carol Oates s'adapte idéalement à cette histoire. Le rythme saccadé des phrases et le tourbillon des mots, leur enchaînement inégal, nous plongent dans les
soubresauts de cette vie si intense, dans laquelle périodes noires et lumineuses, fébrilité ou apathie se succèdent...
Extrait
Il dit aussitôt au fougueux Président que la blonde sexy présentait des "risques" pour une relation. elle était connue pour...
"Qui parle d'une relation ? Je parle d'un rendez-vous dans cette cabine là-bas. Deux, si j'ai le temps."
Avec gêne, en baissant la voix, conscient que de nombreux yeux admiratifs les suivaient tandis qu'ils se promenaient au bord de la piscine en fumant leur
cigare d'après dîner, le Maquereau informa le Président (comme l'aurait fait le FBI s'il avait été consulté, car ses dossiers sur Marylin Monroe alias Norma Jeane Baker étaient pleins à craquer)
que Monroe avait pratiqué une dizaine d'avortements, sniffait de la cocaïne, se shootait à la benzédrine et au phénobarbital, et avait subi cinq ou six lavages d'estomac dans le seul hôpital des
Cèdres du Liban. C'était de notoriété publique. Dans tous les tabloïdes. A New-York, elle avait été amenée à l'hôpital de Bellevue les deux bras tailladés et pissant le sang, transportée à
l'intérieur sur une civière, complètement nue et en plein délire. Winchell l'avait écrit dans sa chronique. Dans le Maine, un ou deux ans plus tôt, elle avait fait une fausse couche, ou essayé
d'avorter toute seule et raté son coup, et une équipe de secours avait dû la repêcher dans l'Atlantique. Et elle fréquentait des rouges connus ou présumés tels.
Vous voyez ? Risqué.
Challenges