
Quatrième de couverture
Elle était là, immobile sur son lit, la petite phrase bien connue, trop connue : Je t’aime. Trois mots maigres et pâles, si pâles. Les sept lettres ressortaient à peine sur la blancheur des draps. Il me sembla qu’elle nous parlait :
- Je suis un peu fatiguée. Il paraît que j’ai trop travaillé. Il faut que je me repose.
- Allons, allons, Je t’aime, lui répondit Monsieur Henri, je te connais. Depuis le temps que tu existes. Tu es solide. Quelques jours de repos et tu seras sur pied.
Monsieur Henri était aussi bouleversé que moi.
Tout le monde dit et répète « Je t’aime ». Il faut faire attention aux mots. Ne pas les répéter à tout bout de champ. Ni les employer à tort et à travers, les uns pour les autres, en racontant des mensonges. Autrement, les mots s’usent. Et parfois, il est trop tard pour les sauver.
Avis d’une lectrice du dimanche
C’est une lecture légère, agréable, pleine de gaieté !
Ce livre n’a pas la prétention de proposer une thèse philosophique sur le langage. Eric Orsenna a écrit une digression sur les mots grâce à ce conte enfantin.
Deux enfants sont victimes d’un naufrage et échouent sur l’île des mots. Le traumatisme de la tempête leur a fait perdre l’usage des mots. Monsieur Henri, leur hôte sur l’île, va les guider dans le monde des lettres pour leur faire recouvrer la mémoire du langage.
Le récit est facétieux, drôle et complètement fantaisiste : la visite du « magasin du vocabulaire de l’amour (tarifs réduits pour les ruptures) », le "village des mots (interdit aux choses et aux êtres humains)"… Les relations des habitants de ce charmant village sont complexes, avec les amitiés et alliances entre les articles, les mots et les adjectifs, l’orgueil des pronoms, les adverbes invariables qui ne s’accordent avec personne et ne supportent que les aventures éphémères…
Une critique de l’éducation apparaît derrière ce récit loufoque. Orsenna affirme qu’un apprentissage trop rigoureux et rigide de la grammaire et de la littérature décourage les enfants et dénature la beauté du langage.
Extrait :
« Je suis restée deux semaines dans la Sècherie. Comment appeler autrement notre institut pédagogique ?
Le matin, on nous apprenait à découper la langue française en morceaux. Et l’après-midi, on nous apprenait à dessécher ces morceaux découpés le matin, à leur retirer tout le sang, tout le suc, les muscles et la chair.
Le soir, il ne restait plus d’elle que des lambeaux racornis, de vieux filets de poisson calcinés dont même les oiseaux ne voulaient pas tant ils étaient plats, durs et noirâtres.
Alors, Madame Jargonos était satisfaite. Elle trinquait avec ses adjoints.
- Je suis fière de vous. Notre travail avance comme il faut. Demain, nous disséquerons Racine, et après-demain Molière…
Pauvre langue française ! Comment la faire évader de ce traquenard ? »